Avant le départ à Madère, la saison avait été vraiment superbe. Je savais que c’était la dernière de l’année, mais aussi mon dernier petit ultra avant un moment, car je serai Papa en mai. Un nouvel Ultra où les nuits peuvent être longues, les ravitos courts, mais le chemin y est unique, magnifique, un partage en duo pour la vie.
Madère serait la ‘der, elle avait donc un goût particulier.
D’ailleurs, j’étais déjà venu en 2018 sur ce même format. C’étaient mes débuts sur les trails longs et finalement je ne m’en étais pas si mal sorti. J’ai pu finir 11 ème en 10h58. J’avais adoré cette course, ces paysages, ces chemins, sa difficulté. C’est une île incroyable avec des fleurs magnifiques, des forêts d’eucalyptus, ces Pico vertigineux. Un petit paradis qui traumatise bien les cuisses.
En tout cas, j’étais assez confiant deux semaines avant. Après une 3e place au Trail de EDF Val Cenis sur le 85km puis une 2e place sur le trail de Serre Ponçon 85km, j’avais franchi une barrière. J’étais meilleur, ma gestion était plus efficace, je comprenais comment tenir une course, mais surtout je savais me battre jusqu’au bout. Le MIUT, c’était pour moi mon dernier objectif et je voulais finir l’année en beauté, tout comme cette île.
J’ai mis du temps à faire le pas du vaccin et il a fallu que je fasse ma 2e dose 10 jours avant la compétition. Je me disais “bon, j’aurai sûrement un peu mal à la tête, je vais me reposer et ça ira.” Malheureusement, je n’ai pas vécu seulement cela. Mon corps a trop réagi à la 2ᵉ dose et j’ai été cloué au lit 5 jours. Entre fièvre, courbature, fatigue et migraine, rien n’était de bon augure pour ma course. Je commençais sérieusement à douter de pouvoir y aller et de pouvoir courir là-bas. Je n’avais pas couru depuis presque 7 jours et c’est une chose que je ne supporte pas avant une course. Le fait de trop me reposer avant un départ me fatigue encore plus, j’ai besoin de tourner les jambes. Mais là, je n’avais pas le choix.
Le mercredi, je prenais l’avion depuis Nice pour atterrir à Funchal. Après 3 jours d’antibiotique, j’ai décidé d’y aller même si je savais que ce serait Rock and Roll. Je retrouverai en tout cas le team Instinct Trail avec Sean et Cédric.
Deux jours avant le départ, je me sentais mieux, enfin sentir c’était un bien grand mot dans la mesure où j’avais du mal à respirer avec cette crève. Mais j’avais envie, l’excitation de la course était revenue, de voir cette île, ces falaises imposantes, cette île verdoyante. Avec Cédric nous sommes allés trottiner sur le bout Est de l’île à Ponta de Saõ Lourenço. Les jambes étaient plutôt bonnes et le souffle aussi. Quel pied de pouvoir courir. Je n’étais pas à 100% de ma forme mais j’étais mieux. Je ne voulais plus réfléchir sur mon état, ni penser à si j’étais prêt. Je pensais seulement à vivre le moment présent et faire ce que je peux faire, le reste sera du bonus.
Dossard 2006
Légère pression
Le réveil sonne à 4h, je suis en pleine forme. Enfin, je suis en forme, je suis surpris, car même si je suis du matin, à 4h normalement on n’est jamais d’attaque et à 200%. Un taxi me récupère et m’amène au départ des bus pour se rendre à Sao Vicente. Le trajet se passe en musique et je rêve de la course, je me plonge dans le profil du parcours. Je suis un rêveur et je vis ma course avant même d’avoir épinglé le dossard.
Arrivé sur place, je suis content de sentir que mes jambes répondent bien à l’échauffement. Je suis plutôt concentré et le temps est bon. « Le temps est bon, le ciel est bleu… » et mince, ça y est j’ai cette musique dans la tête.
Le départ est donné et l’Allemand de chez Adidas donne directement le ton et le rythme de cette course. C’est rapide et je le laisserai faire sa course. Je me retrouve donc directement dans la position 4 dès le début. Je sais que les 30er kilomètres sont assez rapides, mais qu’il faut vraiment garder de la force pour la montée aux Picos qui sera après le 30ème kilomètre. Me voilà 4ᵉ dans une belle allure et dans une bonne forme. Ma chérie m’envoie un petit SMS pour tenir au courant des écarts devant et derrière à chaque ravito. Personne ne me fait l’assistance, alors je prends le temps de manger et de bien remplir mes flasques.
Je ne me rappelais pas qu’il y avait autant d’escaliers, les mollets chauffent. J’ai pourtant vécu à Lyon et j’en ai passé des escaliers dans la montée de « Nicolas Delange » et « Soulary ». Ma course est bien gérée et je me sens bien. Je commence à me dire qu’au final je vais passer une belle journée.
Au 30 ème kilomètre, je m’arrête environ 4mn au ravitaillement et prends le temps. C’est la partie la plus dure de la course qui va suivre. Une montée de 1400D+ sur 10,5km et le chemin est loin d’être simple. Je constate que derrière, c’est à 5 mn et devant le 3ᵉ également. Je me dis que je pourrais le rattraper après la montée.
J’ai à peine commencé la montée que les crampes arrivent très fortement, avec un coup de fatigue et un mal de dos. Je me dis que c’est passager et comme dans chaque ultra, on vit tous un ou des moments durs. J’avance avec les crampes, je vois mes quadriceps se contracter et je pourrais presque distinguer les fibres musculaires et les tendons tellement les crampes sont fortes. À partir de ce moment, c’est la descente aux enfers. Malgré des pauses, après avoir ralenti, je sens que ça va être compliqué.
À ce moment on peut se poser beaucoup de questions et la gestion de course peut s’avérer totalement différente.
Je me retrouve alors 6ᵉ et je ne suis même pas le rythme des personnes du 115km. La douleur est vraiment présente, je n’ai jamais eu de telles crampes et un mal de dos pareil.
Comment gérer cette situation ?
Qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je vais revenir après la montée ? Est-ce que les douleurs, les crampes vont partir ? Est-ce que je finis la course sans penser au classement ? Est-ce que j’accepte de mettre 12h, 13h, 15h au lieu de 10h30 ? Doucement je sens mon mental vaciller et la course commence doucement à m’échapper. Le plaisir disparaît totalement et c’est uniquement la lutte à chaque pas.
Après avoir eu ma chérie au téléphone afin de parler de ce moment de doute et de questionnement, après qu’elle essaye de me pousser à aller plus loin, à tenir tout en me réconfortant, la course se dessine vers une fin moins glorieuse.
Vu mon état de cuisse, ma fatigue et ma difficulté à courir je sais qu’après le ravitaillement, il me reste 40km. Sur les 20 derniers kilomètres, il faut courir car c’est la partie la plus roulante. Si je continue je vais mettre 15h, je vais arriver de nuit. Dans quel état je serais ? Combien de temps après je vais mettre pour récupérer ? Est-ce que je vais prendre du plaisir à finir la course même si je zappe de ma tête la notion de performance et de résultat ?
Je me suis vite dit que “Non” et que la meilleure chose à faire était de rendre mon dossard.
Il n’est jamais facile d’abandonner, pour n’importe qui, quel que soit son niveau. Quand on se sacrifie, quand on fait des concessions, quand on passe 10h à 20h par semaine à l’entraînement, c’est toujours dur d’abandonner. On a toujours peur de ne pas assumer cette décision et de se dire plus tard qu’on aurait dû continuer. On peut facilement mélanger ses propres peurs, son échec et le regard des autres. On pense aux personnes qui nous suivent, à ses partenaires de vie qu’on veut rendre fier, comme sa famille aussi. On pense à son entraîneur qui est là chaque jour à veiller qu’on s’entraîne correctement. On pense aussi parfois aux partenaires qui nous aident et nous accompagnent. Et parfois et c’est peut-être le pire, aux personnes qui nous suivent via des réseaux sociaux, qu’on ne connaît même pas mais qu’on ne veut pas décevoir. Lorsque j’ai rendu mon dossard, j’ai pensé à moi et à rien d’autre. J’ai pensé à ma santé, ma forme et mon plaisir. J’étais triste mais je n’avais aucun regret. J’ai assumé pleinement que j’aurai aucun plaisir à continuer, que je m’entraîne car j’aime le trail mais que j’aime faire des performances et des compétitions également. Je n’aimais pas cet échec mais je le comprenais et il était justifiable.
C’était un jour sans, mais prendre la décision d’abandonner ce n’est pas subir, c’est décider d’arrêter et ça fait partie du trail et de l’apprentissage.
L’ultra trail, c’est parfois des moments désagréables et il faut serrer les dents.
J’ai eu un regret… Ne pas avoir abandonné au prochain ravitaillement 9km plus loin. Avoir stoppé ma course au Pico Ruivo n’était pas du tout la meilleure idée. Ce Pico n’était pas du tout bien situé pour que je puisse rentrer facilement à Machico, contrairement au Pico de Arieiro.
On m’annonce qu’il faut 12 abandons pour qu’un petit bus nous ramène. Bon, je ne souhaite pas que ces 12 personnes abandonnent mais ça risque d’être long. Après une petite sieste, j’étais gelé, une constante brume se figer à ce Pico. Il y avait un parking à 2km, et la route ensuite descendait à Santana. Après 3h d’attente, 4 cafés, quelques poignées de fromage et de chips, je suis parti à pieds au parking pour faire du stop et descendre à Santana.
J’ai réussi à être pris en stop jusqu’à Santana, puis pour aller à Machico j’ai pu prendre un taxi car le stop ne fonctionnait plus très bien.
Soulagement d’arriver à Machico et retrouver tous les autres qui ont pu faire une belle course.
Je me dis qu’au moins je serai le seul à bien dormir cette nuit car après 80km généralement on dort toujours très mal.
Demain je rentrerai, je m’occuperai de ma chérie enceinte.
Je suis loin d’être le plus fort, mais je suis prêt à devenir meilleur.
Grand amoureux de la montagne, j'aime y être plonger et la voir dans tous ses états. J'aime partager des moments forts en émotions avec les gens que j'aime